Fath, sculpteur de père en fils
Loin des salons et des expositions, Richard Fath a œuvré dans l’ombre, indifférent aux écoles et aux modes, en marge des tendances officielles. Une sensibilité artistique hors du commun et une créativité frénétique qui sont à l’origine d’une œuvre riche et multiple, dont les seuls mots d’ordre ont été le naturel et l’émotion.
Une œuvre hors normes
« Mon père avait une seule référence : le naturel ».
Richard Fath le Jeune se tient face à une terre cuite de bouledogue saisissante de réalisme et d’émotion, dans l’atelier de son père où il travaille aujourd’hui à faire renaître son œuvre. Il regarde longuement le profil de l’animal et nous sourit, plein de fierté.
L’œuvre de Richard Fath demeure méconnue car elle est celle d’un artiste animalier, et les « animaliers » ont toujours été victimes de la modestie de leur sujet. Les milieux mondains les ont marginalisés et en ont fait les parents pauvres de la famille des plasticiens – « quelque chose comme le vétérinaire dans l’armée des médecins », expliquait Louis Vauxelles, critique d’art, en 1932.
Méconnue, son œuvre l’est également en raison de sa personnalité et de ses convictions d’artiste, demeurant obstinément à l’écart des chemins balisés, des écoles et des salons. « Je n’étais pas fait pour vivre ce siècle », a-t-il un jour confié à son fils, lui qui n’avait pourtant pas l’habitude d’exprimer ses sentiments. Inutile de chercher chez lui des « périodes » comme en connaissent d’autres créateurs : « Papa voyait un chien, un chat, un oiseau, son fils, il les dessinait, sans réfléchir, parce que ça lui faisait plaisir – il vivait en dehors de son époque ».
Une créativité frénétique
Né à Paris en mars 1900, Richard Fath a fait ses débuts artistiques en 1923 et ses premiers portraits de chiens en 1926. Dès lors, sa production animalière n’a cessé de croître. Ce qu’il n’exprimait pas dans sa vie d’homme, s’étant toujours montré réservé, un peu sauvage, il l’a exprimé à foison dans son œuvre, comme en compensation. Installé de 1925 à 1952 dans son atelier de Bagneux sur Seine, en banlieue parisienne, il a produit une quantité d’œuvres impressionnante, pas seulement animalières. Beaucoup sont restées à l’état d’esquisses ; essais aussitôt abandonnés pour passer à autre chose et satisfaire une curiosité inépuisable pour ses modèles – à commencer par ses propres enfants : « On lui servait de modèles partout et tout le temps, plaisante Richard le fils. Heureusement que maman était là pour lui dire de nous ficher un peu la paix ! ».
Dans la campagne, « même quand on se promenait, il s’arrêtait et dessinait ». Très spontané, il était capable de travailler n’importe où, y compris dans la cuisine, sur un coin de table, oubliant de manger tant ses pensées l’absorbaient, et se faisant souvent « attraper par maman qui lui disait : « Laisse un peu ton crayon et ton papier ! ».
Techniquement, Richard Fath touchait un peu à tout : « peu importe le moyen, c’est le but qui compte », enseignait-il à son fils et élève. Dessin au crayon, pastel, fusain, peinture, sculpture sur terre, plâtre, bois, pierre, cire, acier, étain, ivoire… Des dessins, des sculptures, des médailles et des gravures. Peu de grandes œuvres, plutôt un « travail d’orfèvrerie », dont font partie ces surprenants aciers directement taillés en de minuscules têtes de chiens.
Sa priorité était l’apprentissage consciencieux de l’art. « Sois un bon artisan, répétait-il. Si tu dois avoir du génie, ne t’en occupes pas ! Fais ce que tu aimes, essaies seulement d’y arriver ». Et Richard-Camille, fils, et élève, a bien retenu la leçon. « Mon père partait dans la joie de faire un objet. Il était contre le génie déclaré »…
La passion des animaux et le respect du modèle
La simplicité a été un mot d’ordre, presque une nécessité. « Mon père avait un grand sens de l’observation, raconte son fils. C’était un grand animalier qui cherchait à restituer le plus fidèlement possible l’animal ». Il partait dessiner le bétail et les chevaux dans les champs, la nature et les campagnes alentour. Il passait également de longues heures dans les zoos et les ménageries auprès des félins. Quant aux chiens, « il en a été entouré depuis sa plus tendre enfance, et allait en observer lors des expositions canines ». Une sorte d’ « amitié » le liait à ses modèles, qu’il familiarisait et qu’il savait calmer. Richard-Camille insiste sur cette « compréhension de l’animal », cette « communion avec le modèle », cette « empathie » qui donnaient à son père un regard particulier sur les animaux, lui faisant respecter fidèlement ce qu’il voyait : « Pour beaucoup d’artistes, l’art c’est l’interprétation de la nature. Pour mon père, l’art était plutôt la fidélité à cette nature ». Fidèle à la nature comme le chien à son maître, par amour...
Emotion et « sensation »
La recherche du « naturel », la « sensation » et « l’émotion » sont les clés de toute l’œuvre de Fath, qu’elles émaillent comme une trame discrète et intraitable. « Je vois un animal, je ressens une sensation, je cherche à la reproduire », disait-il à son fils. Richard Fath visait le simple et le beau, ce qui lui a fait préférer à l’abstrait d’un Pompon ou d’un Brancusi, ou encore à la « sauvagerie » d’un Barry, des scènes tendres, « gentilles », des animaux au physique attirant : « Papa n’a pas fait de serpents, d’araignées ou de rhinocéros, même s’il était très prolifique. Il n’a pas cherché les scènes de violence, de virilité animale. Il a préféré au cerf la biche et le faon ; la sensualité, le féminin. Il aimait ça, c’était son plaisir ». Une « plénitude souriante » remplaçait « la catastrophe, le désastre, l’horrible ».
L’étude des chiens
C’est vers 1928 que Richard Fath s’oriente plus particulièrement vers le monde canin, en développant sa production de bronzes d’édition. Peu à peu, il trouve des mécènes chez les clubs animaliers. Le « bouche à oreille » suffit alors à faire fructifier sa clientèle. Un même amour des chiens, une même « exigence partagée de vérité » le met en relation avec les clubs et sociétés canines, notamment avec la Société Centrale Canine, dont le président dira en évoquant son travail qu’il « a marqué une époque ».
De ces liens étroits va naître le vaste répertoire de races canines que nous connaissons, avec notamment 20.000 à 50.000 médailles, insignes des clubs, dont certaines trônent encore dans les vitrines de l’atelier familial, les autres garnissant celles des connaisseurs et des amateurs du monde entier.
Entre père et fils
L’extrême modestie de l’artiste n’a cependant pas joué en faveur de son œuvre, longtemps restée dans l’ombre. En témoigne cette anecdote sur la signature des pièces que nous conte son fils : « Il se moquait des signatures. Il trouvait que c’était du commerce, que ce qui comptait c’était le sourire devant une œuvre. Alors, quand on lui demandait de signer, il faisait signer maman ! »…
Beaucoup d’œuvres seraient ainsi restées à l’abandon sans l’intervention de la famille. Sans Richard-Camille, bien décidé à poursuivre son œuvre propre : « faire renaître l’œuvre de mon père ». Son père et l’art, indissociables, ont tenu une place de première importance dans sa vie, inextricablement mêlés. Richard Fath le fils devient l’apprenti de son père dès 1942. Il n’a que quinze ans quand il entre aux Beaux-Arts et devient le plus jeune élève de Niclausse, maître de référence. Malgré son jeune âge et ses « culottes courtes », il remporte de nombreux prix grâce au travail acharné que lui impose, exigeant et perfectionniste, son père : « Je passais dix heures par jour à travailler avec lui, on passait beaucoup de temps dans les musées à observer et à dessiner ».
Il n’est donc pas surprenant de l’entendre dire, avec une émotion contenue et une voix changée, remontée de l’enfance : « J’ai perdu en même temps mon papa et mon professeur. Quand il est mort, j’avais vingt deux ans, et ça a changé toute ma vie. J’ai perdu mes repères, et j’ai tout arrêté pendant longtemps. La mort de papa a laissé un vide formidable »…
« Faire revivre papa… »
Depuis, le fils n’a qu’une peur : voir le père « tomber dans l’oubli ». Et un seul but : « faire revivre papa ! ». Si l’objectif est simple, sa réalisation semble plus compliquée. Aussi parcourt-il inlassablement les galeries, les musées, les salles des ventes pour y faire entrer son père. Sa plus grande victoire, ce sont les « mille à deux mille chiens placés dans les musées de France et d’Europe ». Bien sûr, la route est semée d’obstacles et de quelques « paires de claques polies », comme il le souligne en souriant. Néanmoins l’objectif est atteint :
« Je suis un vieux monsieur, mais je pense être en train de réussir : quand on sera tous morts, papa restera comme un grand sculpteur animalier du XXè siècle »…
Nul doute que le père, là-haut, entend son fils. Son fils qui lui parle sans cesse, le fait participer à notre entretien. Il le fait déjà renaître ici-même, entre les quatre murs de l’atelier, et l’on sent presque son souffle, fantôme discret, présence muette, troisième homme attentif…
Julie Delfour
Revue de la Cynophilie, octobre 2003
Autres articles parus dans la Revue de la Cynophilie :
- « Une convention européenne pour la protection des animaux de compagnie », Revue de la Cynophilie (SCC), février 2003.
- « Le concours général canin », Revue de la Cynophilie (SCC), février 2003.