Des fauves en ville
Dans la quiétude de son espace urbain, l’homme rêve au sauvage. Il imagine cette nature qu’il ne connaît plus, la remodèle aux dimensions de ses rêves. Peu à peu, la crainte ancestrale se fait attirance et les fauves redoutables se font peluches qui aident à s’endormir. Mais quand l’animal pénètre en ville et qu’il avance dans l’ombre comme un voleur, presque par effraction, l’homme se trouve face à quelque chose qu’il ne maîtrise pas. Loin de celles qu’il imaginait, les dimensions réelles de la nature le dépassent et, comme tout ce qui le dépasse, elles l’effraient…
Lorsqu’en 2002, six loups surgissent de la forêt toute proche et traversent un village des Hautes-Alpes, personne ne se contente de cette réalité exposée par les spécialistes de la DDAF* : « En chasse, les loups suivent les ongulés qui, poussés par la neige, descendent dans les vallées. Il n’est donc pas rare de les voir traverser un village, mais le risque pour l’homme est quasi nul ». Comme un feu en été, la panique monte. Les journaux s’emparent de l’affaire. A nouveau, l’homme rêve au sauvage, mais ses rêves ont l’accent des cauchemars et les doux peluches se font monstres sanguinaires. Loups et ours redeviennent ce qu’ils étaient dans les livres de contes et les légendes d’antan : des brutes anthropophages descendues dans les villes, telle la Bête du Gévaudan, pour y mutiler les femmes et y dévorer les enfants…
Que ce soit en rose ou en noir, l’homme tend à repeindre l’animal réel comme il le voit en rêve. Entre le désir de toucher et celui de tenir à distance, l’ambivalence est palpable. Docteur ès Sciences, Jean-Jacques Barloy rappelle que cette ambivalence est le propre du tabou : « D’origine polynésienne, le terme tabou s’applique aux animaux qu’il est interdit de toucher et de consommer sous peine de sacrilège ». L’animal tabou symbolise la nature brute, dangereuse, incontrôlable. Et les grands prédateurs en sont l’incarnation, eux qui vivent dans l’ombre, à l’abri des regards, discrets et insoumis.
(* Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt.)
Julie Delfour
La Salamandre, n°188 spécial 25 ans, octobre 2008
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