« Dans cette estancia, j’étudiai avec soin les chiens bergers du pays. On rencontre souvent (…) un grand troupeau de moutons gardé par un ou deux chiens. Comment une amitié aussi solide peut-elle s’établir ? C’était là un sujet d’étonnement pour moi ».
Charles DARWIN, Voyage d’un naturaliste autour du monde, 1836.
Durant toute l’année 2002, dans le cadre d’un mémoire de recherche en sciences sociales (Université Paris V, La Sorbonne), j’ai mené une enquête dans les Pyrénées auprès d’éleveurs et de bergers confrontés à la présence de l’ours. Pour mener à bien ce travail, une bourse d’étude m’a été octroyée par l’association « De Lin et de Laine » et la Réunion des Amateurs de Chiens Pyrénéens (R.A.C.P.). Sur le terrain, j’ai été guidée par Gilbert Guillet, coordonnateur « chiens de protection » de l’Association pour la Cohabitation pastorale, j’ai découvert et analysé l’art et la manière d’installer des chiens de protection sur un troupeau. Véritables maillons du tissu pastoral, situés littéralement entre chien et loup et attachés aux brebis sur lesquelles ils veillent en permanence, ces chiens sont aptes à faciliter la cohabitation entre pastoralisme et prédateurs.
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Les chiens de protection*
Depuis le néolithique, époque à laquelle les hommes ont domestiqué des ongulés et conduit des troupeaux, les chiens de protection sont un moyen de veiller sur les bêtes en repoussant les assauts des prédateurs. En France, l’utilisation de chiens de protection a cessé pendant des décennies faute de prédateurs. En revanche, ils sont toujours utilisés dans des pays où l’élevage ovin et les grands prédateurs sont présents. En Italie, chaque éleveur en possède au moins un.
Chaque chien destiné à la protection est issu d’une lignée de travail. La mère a fait ses preuves et travaillé au milieu des bêtes pendant plusieurs années. Les chiots naissent de préférence au sein du troupeau pour faciliter leur intégration qui repose avant tout sur le contact affectif entre le chien et les brebis. Rapidement, ils sont séparés de leur mère et de leurs frères et sœurs pour qu’ils s’attachent aux brebis plutôt qu’aux autres chiens ou aux hommes.
Le chien doit s’intégrer au troupeau et en être toléré. Une fois franchi le cap délicat de l’intégration, le chien et le troupeau sont indissociables, au point qu’il est parfois difficile de discerner le chien au milieu des brebis. Il leur ressemble physiquement, avec sa toison blanche et sa tête ronde. Il se fond dans leurs rangs grâce à son attitude calme, jamais agressive, et sa manière lente, tête basse, de circuler parmi elles sans les effrayer. Tout chien anormalement agressif envers le troupeau doit être écarté du travail et stérilisé, au risque de voir ultérieurement les lignées s’appauvrir.
Le rôle du chien est de demeurer au milieu du troupeau qu’il protège en faisant le moins de mouvements possibles. Sous une apparente nonchalance, il reste constamment en alerte et réagit au moindre bruit susceptible d’être une menace. Uniquement dissuasif, il ne doit pas se montrer agressif et n’attaque l’intrus qu’au tout dernier moment. Ce travail de protection doit se faire naturellement, de manière totalement autonome, sans recevoir d’ordres de son maître, absent souvent pendant des jours.
Face à un prédateur, la technique du patou consiste à créer un périmètre de sécurité autour des brebis afin d’anticiper l’approche de l’intrus. La première réaction est d’aboyer pour avertir l’intrus de sa présence et alerter le berger. La nuit, ses aboiements continus, accompagnés d’un harcèlement systématique, contribuent à dissuader un éventuel prédateur de passer à l’attaque. Un contact avec un patou décidé, tout en muscles et en crocs, mettrait sa survie en danger. Être blessé est un risque qu’un prédateur évite de courir, à moins d’être très affamé.
*Julie Delfour, Vivre avec le loup. Extrait.