Piégeurs en Midi-Pyrénées
De 2008 à 2010, j’ai effectué trois années d’enquête et d’entretiens dans le cadre de ma thèse de Géographie sur les liens entre hommes et petits carnivores dits « nuisibles ». L’occasion d’aller à la rencontre des piégeurs de Midi-Pyrénées et du Massif Central, lesquels ont accepté ma présence à leur côté sur le terrain, m’ont fait découvrir des savoirs oubliés et m’ont dévoilé une vision empirique, sensible et non dénuée d’ambivalences, de l’animal.
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Le choc des cultures*
L’approche empirique des piégeurs a de quoi dérouter les scientifiques et pourtant, ces derniers doivent bien reconnaître son efficacité là où ils échouent ou peinent bien souvent à donner des résultats. Ainsi, des approches a priori contradictoires peuvent se révéler complémentaires, comme le souligne Sandrine Ruette, ingénieur à l’ONCFS : « On apprend auprès des piégeurs. Ils connaissent leur terrain bien mieux que nous ! Donc on n’est jamais en situation de confrontation de visions, mais plutôt en complément. Moi je donne un cadre d’analyse scientifique, des contraintes techniques à respecter, un échantillonnage… Bref, un cadre que je connais, et eux ils connaissent la réalité du terrain. Cela n’empêche pas qu’on discute ! »
L’approche privilégiée par les piégeurs est en définitive une autre manière d’aborder la nature et une autre vision, plus directe, plus pratique et plus émotive, de l’animal observé. Si elle les laisse souvent perplexe, cette vision est respectée par des scientifiques qui comprennent, sans forcément la partager, une telle forme de connaissance par le ressenti : « Leur mémoire est aussi très sélective. Ils vont retenir un cas parce que, dans leur mémoire, il est raccroché à une émotion… », explique Jean-Michel Vandel, technicien à l’ONCFS. Ce dernier met aussi l’accent sur leur grande expérience de la pose de pièges et l’« image de recherche » qu’elle leur permet de construire : « Ils nous disent : « Si je mets ce piège là, je ne sais pas pourquoi, mais c’est là qu’il va prendre ». Et souvent ils ont raison ! C’est une image de recherche, c’est fou, mais c’est une expérience qui est très fine. Nous, on a notre technologie, nos antennes pour suivre l’animal. Eux, ils n’ont pas accès à ça et ils développent des performances étonnantes dans le suivi des traces ». Il ne dédaigne donc pas d’utiliser une approche pourtant très différente de celle des piégeurs, en émettant toutefois quelques réserves : « Les piégeurs ont une connaissance pratique de la mise en place de leur piège et du fait qu’il y ait capture ou pas. Et aussi une connaissance des comportements des animaux. On a effectivement tout à apprendre avec eux ! C’est une approche intéressante, mais ça reste une connaissance de cas par cas, qui ne va pas permettre de généraliser. Et bien sûr, parfois, il y a des interprétations abusives, même si leur raisonnement est très bon ».
Ainsi, l’interprétation que font les piégeurs des comportements observés divise les scientifiques et c’est ici que se forment, voire s’enveniment, les oppositions et les désaccords. Car les piégeurs élaborent leur propre vision de l’animal et, pour la formuler, leur propre langage.
*Julie Delfour, « Sauvagine ». Hommes et petits carnivores dits « nuisibles ». Partage des territoires, partage des connaissances. Thèse de doctorat de Géographie, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, 2011. Extrait.