Décembre 2008 : après la découverte de la ville de Nairobi, une immersion dans la vie sauvage du le Masaï Mara. Pendant une semaine, grâce à l’intervention de mon ami Kyalo, un guerrier Masaï rencontré plus tôt pendant mon séjour, j’ai pu accompagner sur le terrain Saitoti et Letura, deux pisteurs masaïs, et m’entretenir avec eux sur leur manière d’identifier et de suivre les traces des animaux. Aujourd’hui encore, les scientifiques utilisent le savoir-faire ancestral des pisteurs traditionnels. Bernard Agwanda, chercheur au National Museum of Kenya, le reconnait volontiers : « Quel que soit leur degré d’abstraction, nos données scientifiques recoupent leur savoir empirique ancestral. La science utilise largement la tradition ».

Au fil de nos randonnées, les deux hommes m’ont enseigné l’art de pister les bêtes sauvages et de comprendre, bien après leur passage, le sens des messages qu’ils ont déposés en chemin. Devant moi, les pisteurs avançaient à pas mesurés, à l’affût d’un signe, d’un message inscrit dans la terre qu’ils foulent ou dans l’air qu’ils respirent. Pour eux, depuis l’enfance, de père en fils, la terre se lit comme un livre ouvert. Dans le sable ou la boue, les traces écrivent les pages du roman de la vie animale. Elles sont la parole silencieuse des bêtes.

Les Masaïs possèdent de grands troupeaux de bétail, ce qui engendre d’inévitables conflits entre hommes et grands prédateurs (lions, léopards, éléphants). Quand un animal pose problème, il est capturé et transporté plus loin. Si c’est un mangeur d’homme, il est éliminé. Lire les traces est aussi un moyen de prévenir et d’anticiper la confrontation, d’écarter la menace.

Ce jour-là, mes guides ont aperçu un éléphant descendant rapidement vers la vallée : un mâle solitaire – l’animal le plus dangereux pour l’homme après le buffle. Du haut de la montagne où nous étions postés, ils ont fait des signes et crié pour prévenir le berger, qui a fini par se détourner. Juste à temps. Incapable de voir venir le danger, il aurait conduit son troupeau droit sur l’éléphant…