Traversant les époques, du Moyen Âge à nos jours, cet ouvrage se propose de dresser un inventaire scientifique des êtres imaginaires à la manière d’un guide naturaliste traditionnel, en convoquant des créatures fantastiques ou réelles, ainsi que les nombreux hybrides, entre homme et animal, décrits par les navigateurs partis à la découverte de Nouveaux Mondes. En prenant volontairement le contre-pied des guides strictement scientifiques, Julie Delfour opère un clin d’œil amusant associant le culturel au naturel, la science «humaine» à la science objective. L’imagination débridée et la réalité se rencontrent et se complètent sous les traits de cette ménagerie poétique, de ces animaux étranges ou monstrueux, représentés avec force détails fantaisistes par les premiers grands voyageurs, les bestiaires médiévaux ou, plus tard, sous le pinceau d'un William Blake, d'un Delacroix, Victor Hugo ou encore Odilon Redon.
Bestiaire imaginaire dresse les portraits détaillés d’environ quatre-vingts créatures imaginaires, classées en quatre grandes catégories qui correspondent à leur milieu de prédilection : terrestre, aérien, sous-marin et souterrain. Au texte passionnant de Julie Delfour, nourri de références scientifiques, historiques, littéraires et artistiques, répond une mise en page attrayante et richement illustrée.
Le dahu
Nom : dahu (Dahutus montanus).
Taille : 80 cm de hauteur au garrot.
Signe particulier : dissymétrie latérale des membres.
Régime : épines de pins, baies.
Localisation : Europe, Amérique du Nord, Afrique, Asie.
Habitat : montagnes et forêts d’altitude.
Universel…
Dahutus montanus appartient à l’ordre des ongulés artiodactyles. Outre sa petite queue en forme d’arc, il est avant tout remarquable pour une aberration sans équivalent dans le règne animal : des pattes plus courtes d’un côté que de l’autre. Cette singularité anatomique frappe les imaginations aux quatre coins du monde, exerçant sur les hommes – les chasseurs notamment – une véritable fascination. Alpes, Rocheuses, Kilimandjaro, Tibet… pas un sommet sauvage qui ne conserve des traces de son passage. En Finlande, dans les gorges de Jumia-Ölkky, le dahu est immortalisé par des peintures rupestres, en équilibre incertain. En Ecosse, il devient le haggis, animal sauvage des Highlands frappé de la même fascinante infirmité.
…et insaisissable
Les tentatives pour le capturer (ou simplement l’approcher) se soldant par des échecs, les hommes sont tentés de renoncer à croire en son existence. C’est sans compter sur l’obstination de Marcel Jacquat, Conservateur du Muséum d’histoire naturelle de La Chaux-de-Fonds (Suisse) et spécialiste mondial du dahu. Patiemment, l’homme collecte toutes sortes d’indices, squelettes, empreintes et autres touffes de poils. De nombreux témoignages viennent compléter sa collection et cultiver sa passion du mystère. Le 1er avril 1995, une exposition dédiée au dahu voit le jour. Une majorité de visiteurs incrédules en ressort convaincu de l’existence de l’improbable créature.
Quand l’évolution fait du zèle
La dissymétrie des membres du dahu tient à la nature de ses déplacements à flanc de montagne. La sous-espèce possédant des pattes gauches plus courtes évolue sur le versant droit (dextrogyre) ; celle dont les pattes sont plus courtes à droite fréquente le versant gauche (lévogyre). Une telle adaptation évolutive, censée faciliter la marche, n’en demeure pas moins contraignante. Les dahus sont en effet condamnés à avancer dans la même direction sans pouvoir faire demi-tour. Une volte-face intempestive est aussitôt sanctionnée par une chute… Contraignante, la dissymétrie devient presque impossible à assumer en matière de sexualité. Les deux sous-espèces s’accouplent rarement dans la nature. Leurs rencontres n’ont lieu que face à face ou dos à dos. Aussi toute tentative de rapprochement amoureux confine-t-elle à l’exploit téméraire. Qu’un mâle dextrogyre, enivré par les vertiges de l’amour, vienne à dépasser sa partenaire lévogyre, et il en est quitte pour refaire un tour complet de montagne avant de pouvoir à nouveau l’aborder !
Chassez le naturel…
A l’affût derrière un buisson, le chasseur attend que la bête se montre au sommet de la montagne. Il l’appelle alors en sifflant doucement. D’un naturel sociable, le dahu se réjouit que quelqu’un s’intéresse à lui, se retourne…et perd l’équilibre. Le chasseur n’a plus qu’à ouvrir grand son sac et à l’y enfermer. Moralité : pour le dahu, pas de plus grand danger que la curiosité !