La préparation d’un ouvrage sur la cohabitation entre hommes et loups (Vivre avec le loup) m’a conduit à sillonner les routes alpines pendant près de deux ans. J’y ai rencontré des éleveurs et des bergers qui m’ont ouvert leur porte et ont accepté de parler de leur travail, me confiant leurs craintes et évoquant la difficulté d’accorder une place à un prédateur dont le retour fait resurgir d’ancestrales angoisses. Je garde des moments passés auprès de ces hommes et femmes attachés à leur mode de vie, bien qu’il soit rude et difficile, un merveilleux souvenir.
Le berger en estive *
Henri guide et surveille ses bêtes qui pâturent dans la haute vallée du Jabron, vaste domaine dans lequel il fait face à la solitude, et parfois au mauvais temps, durant les longs mois d’estive.
Le rituel quotidien est immuable. Henri arrive près du troupeau avant le réveil des bêtes, afin de mieux contrôler leur « mise en route ». Les brebis se dégourdissent les pattes dans un secteur proche de la couche, avec peu d’herbe, pour la mise en appétit. Puis elles sont menées dans un secteur riche en herbe fraîche où elles se déploient jusqu’à l’heure de la chôme. Après la sieste, la remise en route se fait vers un secteur à l’ombre, avant d’en rejoindre un plus riche en herbe. Puis le troupeau prend lentement le chemin du retour, fait un crochet vers le sel et retrouve la couche quittée le matin. Quelques bêtes pâturent encore un peu tandis que d’autres se reposent déjà.
La règle d’or est de respecter le rythme et les réactions des bêtes. Cela implique un amour et une connaissance globale et individuelle des brebis. Savoir technique et amour des bêtes : l’art du bon berger.
Isabelle, bergère en Crau *
Le métier de berger s’est naturellement imposé à Isabelle, même si, face aux autres, l’épreuve a été difficile : « Il faut toujours tout prouver, surtout quand on est une femme, et pas du métier. J’ai eu du mal à me faire accepter par les autres au début. Et puis ils ont vu que je savais observer et que j’étais passionnée, alors ils m’ont intégrée. Même si je passe un peu pour l’originale du coin ! ».
Mais elle a su faire sa place, se faire accepter par ce monde qui l’attirait et où elle a donné un sens à sa vie. C’est en évoquant son enfance qu’elle mesure le chemin parcouru : « Quand j’étais petite, dans ma famille, on a tout eu, on a tout partagé et on a été heureux. Et aujourd’hui, à près de quarante ans, j’arrive à retrouver ce bonheur. J’ai toujours décidé de ma vie et ce métier est une victoire. C’est pour cela que j’accepte les moments difficiles ; pour les meilleurs : la liberté de mener nos journées comme on veut. Cela, c’est irremplaçable. »
* Julie Delfour, Vivre avec le loup, extraits.